
Anonyme, sans titre (Femme frappant à une porte), vers 1860
Anonyme (Grande-Bretagne),
Sans titre (Femme frappant à une porte),
années 1860.
Jusqu’en 2012 : Collection particulière anglaise ; librairie Bernard Quaritch LTD, Londres ;
2012, don de la Société des Amis du Musée d’Orsay à l’Etablissement publique du musée d’Orsay.
Epreuve sur papier albuminé à partir d’un négatif sur verre au collodion, contrecollée sur carton. Dimensions : h.15,3 cm x l. 11cm (image) ; h.35,5 cm x l. 25,4 cm (support).
Bien que les recherches menées sur cette épreuve, dont la provenance est inconnue, n’aient pas encore permis de découvrir l’identité de son auteur, on peut sans trop d’imprudence avancer qu’elle a été produite dans la sphère photographique britannique, entre la fin des années 1850 et celle des années 1860. Outre le fait qu’elle est apparue sur le marché londonien, plusieurs indices invitent au premier abord à le penser, tels la nature des matériaux architecturaux et le style des éléments décoratifs (le décrottoir et le heurtoir de porte en particulier), davantage éloquents ici que le costume et la coiffure du modèle. Derrière cette représentation de femme frappant à une porte, on est donc invité à voir, peut-être plus qu’un professionnel inspiré, l’un de ces talentueux amateurs victoriens à la classe sociale desquels correspond ici, à la fois la distinction de la demeure élue pour cadre, et l’élégance du modèle, suffisamment familier avec le photographe pour s’être prêté à une telle mise en scène.
Victime de sa qualité, l’épreuve a été extraite il y a quelques années d’un album dont elle constituait certainement l’un des fleurons. C’est cet environnement premier qui explique en partie son état de conservation exceptionnel, la fraîcheur et la profondeur des tons rendant ainsi pleinement justice à la maîtrise de l’éclairage. Poussée jusqu’au détail délicat de l’ombre portée sur le mur, celle-ci a en outre permis d’enrichir l’image d’une variété d’effets de textures (bois peint, pierre, brique, métal, étoffes, chevelure, etc). Sans éléments sur le contexte de cette photographie dans l’album, qui aurait pu renseigner sur la dimension narrative dont celle-ci est vraisemblablement dotée, la question se pose donc de savoir ce qu’il faut le plus justement apprécier. La poésie silencieuse de l’instant suspendu, soulignée ici par le motif, traditionnel en peinture, de la figure solitaire de dos ? Ou bien plutôt, sur le terrain plus anecdotique du genre, la manière sensible et retenue avec laquelle l’illusion de l’instantané est rendue, jusqu’à atteindre un effet de suspens visuel dans l’évocation du quotidien le plus anodin ?
Cette deuxième lecture, qui ne retire rien à la première, permet en tous cas de proposer un thème – celui de la visite à l’amie – qui, associé au choix de la représentation en pied et de ¾ dos, met en évidence ce que cette image doit peut-être, non seulement à l’iconographie des gravures de mode contemporaines, mais aussi à l’esthétique de la photographie au format carte de visite. Et la porte de s’entrouvrir sur une possible identité féminine de l’auteur : adhérant à un phénomène amateur alors typiquement victorien – précisément caractérisé par une prédilection pour la représentation de la vie domestique et sociale des femmes de la bonne société -, cette praticienne aurait ici livré un exemple du meilleur de la production du moment, dans l’esprit des portraits mis en scène par les sœurs Lucy et Charlotte Bridgeman ou Lady Frances Jocelyn, et des études de Lady Clementina Hawarden.
Thomas Galifot, Conservateur Photographie au musée d’Orsay.
L’auteur tient à remercier pour leur aide précieuse :
Anne d’Aboville, Peter Barberie, Martin Barnes, Amanda N. Bock, Linda Briscoe Myers, Katherine Bussard, Oriole Cullen, Malcolm Daniel, Roy Flukinger, Colin Harding, Marc Haworth-Booth, Hope Kingsley, Joe Struble, Roger Taylor, Eric Turner, Gareth Williams.