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Garçon breton de profil, Roderic O’Conor, 1893
L’Établissement public des musées d’Orsay et de l’Orangerie (EPMO), avec la généreuse participation de la SAMO, a pu acquérir Garçon breton de profil, de Roderic O’Conor. Cette œuvre du peintre irlandais, trop rare dans les collections publiques, a, dès la réouverture d’Orsay, complété les collections post-impressionnistes du musée, et particulièrement celles de l’École de Pont-Aven.
La période la plus singulière et sans doute la plus intéressante dans la carrière artistique du peintre irlandais Roderic O’Conor est sans conteste celle de ses premières années bretonnes, à Pont-Aven et au Pouldu. Il réalise entre 1891 et 1893 un ensemble important de paysages ainsi que quelques portraits de Bretonnes et de jeunes Bretons, parmi lesquels le Garçon breton de profil se détache.
O’Conor à Pont-Aven (Bretagne) – dans le cercle de Gauguin
Roderic O’Conor décide de séjourner à Pont-Aven. Cela s’explique probablement par l’envie de rejoindre le groupe d’artistes « impressionnistes et synthétistes », comme ils s’étaient nommés eux-mêmes après leur exposition au Café Volpini à Paris en 1889. La peinture d’O’Conor change progressivement au contact de ces peintres fortement marqués par l’empreinte de Gauguin, alors même, il faut le noter, que leur chef de file avait d’ores et déjà quitté la Bretagne pour Tahiti.
O’Conor se lie d’abord d’amitié avec Armand Seguin et le peintre anglais Eric Forbes-Robertson, qu’il rejoint à la pension de Marie-Jeanne Gloanec, point de ralliement de cette « école de Pont-Aven ». C’est surtout avec la peinture de Cuno Amiet, un jeune peintre suisse de six ans son cadet, que la complicité artistique sera la plus grande durant cette période : rencontré à Paris en 1891, il le retrouve à Pont-Aven cette même année. De cette émulation mutuelle naît une série d’œuvres dont on ne peut que constater la très grande proximité stylistique (voir ci-contre).
La découverte de Van Gogh
Un autre événement fondamental doit être signalé pour comprendre l’évolution de la peinture de O’Conor au cours de ses séjours bretons : sa rencontre avec Emile Bernard. Il semble avant tout avoir été un catalyseur pour le développement de l’art d’O’Conor : Emile Bernard travaille en effet alors à la publication d’une partie de la correspondance de Van Gogh. Il apporte avec lui les vingt-deux lettres que Van Gogh lui avait écrites, copiées avec soin, dont certaines contenaient des dessins à la plume. Parmi elles, une esquisse d’un tableau de Van Gogh, Semeur dans le soleil levant, dans lequel la veste du semeur, son visage et son chapeau ne sont exécutés que par des traits de plume portés en diagonale (New York, Thaw Collection, The Morgan Library & Museum). Il semble très probable que O’Conor ait pu discuter avec Bernard de l’art de Van Gogh, et qu’il ait eu accès à ces dessins.
Cette fréquentation intime de l’art de Van Gogh fait suite à la très probable découverte de son œuvre à Paris, dès septembre 1890 ,lors de l’exposition posthume organisée par le frère du peintre, Théo, dans son appartement parisien. O’Conor fut fasciné par l’expressivité du pinceau dans les œuvres de Van Gogh, qu’il décrira plus tard comme de « merveilleuses expressions de caractère poussées jusqu’au point de l’hallucination » (Roderic O’Conor à Clive Bell, 18 février 1908, OCCB6, Archives de la National Gallery of Ireland, Dublin).
O’Conor semble avoir adopté une solution originale, qui dépasse en quelque sorte les leçons de Van Gogh et du synthétisme de l’école de Pont-Aven, tout en empruntant aux deux. Son indépendance d’esprit et sa détermination se révèlent dans ces peintures produites autour de 1892-1893, qui montrent décidément qu’il n’est pas un simple suiveur de Van Gogh ou de Gauguin.
Signé et daté de 1893, Jeune Breton de profil a été très probablement exécuté à Pont-Aven. Par ailleurs, cette peinture, comme les autres de cet ensemble (voir ci-contre), ont été travaillées en très larges impasto, probablement peintes une couche sur l’autre, au point que certaines zones apparaissent même en relief : un travail qui nécessite un temps long, en intérieur, en atelier, probablement largement sans le modèle. O’Conor, en peignant ce portrait de jeune breton, se situe dans une mouvance qui est déjà une tradition dans les colonies d’artistes en Bretagne, celle de la représentation des Bretons en costume. Les modèles choisis étaient cependant jusqu’ici principalement des bretonnes. Non seulement O’Conor est ici l’un des premiers à investir le sujet masculin, mais il évacue toute représentation anecdotique du costume.
Le Garçon Breton de profil, une profusion de couleurs
Le modèle, dont on ne connaît pas l’identité, est placé de profil comme pour renforcer son allure indépendante. Décontextualisés, placés devant des fonds neutres, avec leurs traits simplifiés, il devient en réalité des archétypes intemporels de la paysannerie.
Des trois peintures de jeunes paysans par O’Conor, Garçon Breton de profil n’est pas seulement la plus grande mais aussi la moins complaisante en termes de style pictural. Pour créer ce profil, O’Conor appose des couleurs complémentaires côte à côte, sans essayer d’atténuer l’impact de leur juxtaposition en les mélangeant. Des rayures de rose et d’ocre recouvrent en diagonale la partie la plus éclairée du visage, pour changer d’orientation et se transformer en un rose plus vif et en vert sur la partie ombrée de la joue et dans le cou.
Le mouvement oblique continue dans l’arrière-plan de gauche, où un ton de lilas pâle est juxtaposé avec deux tons de vert et des touches de rouge. Il n’y a d’atténuation nulle part, de sorte que même les cheveux du garçon sont traités sous forme de rayures vertes, brun foncé, brun-rouge et ocre. Les mouvements du pinceau et les choix de couleurs semblent avoir été déterminés par le besoin, d’une part d’atteindre un dessin cohérent, d’autre part d’assurer un impact visuel aussi expressif que décoratif.
La caractéristique la plus expérimentale de ce tableau est indéniablement l’application de bandes colorées sur le visage du modèle, de telle façon que les traits du modèle se confondent avec le motif et commencent presque à disparaître en tant que tels.
Provenance :
Après la mort de la femme de l’artiste, en 1955, le contenu de son dernier atelier – 950 œuvres environ – a été vendu aux enchères. Elle est présentée par la galerie londonienne Roland, Browse & Delbanco dès l’année suivante (1957), où elle rejoint la collection de Mme Drue Heinz, philanthrope et amatrice d’art de renom, jusqu’à sa dispersion chez Christie’s en 2019.
Extraits de la note d’intention de Claire Bernardi, conservatrice en chef au Musée d’Orsay