Crépuscule, Pierre Bonnard
En 1985, cette oeuvre capitale de Pierre Bonnard (1867-1947) est entrée au musée d’Orsay grâce au don don de M.Daniel Wildenstein par l’intermédiaire de la SAMO. Il s’agit là d’un enrichissement considérable car cette toile , de format exceptionnel, est le chef d’oeuvre de la période nabie de l’artiste dans les années 1880-1890 et résume son apport à l’esthétique du mouvement
Cette toile de Bonnard, alors âgé de 25 ans et co-fondateur du groupe des Nabis en 1888, résume toutes les découvertes de ses débuts nabis: planéité du tableau, autonomie de la couleur et dessin sinueux en arabesque.
A son exposition au Salon des Indépendants en 1892, le tableau était intitulé « Crépuscule », faisant passer au second plan le jeu réunissant les protagonistes. Le croquet, en vogue depuis les années 1850 est pratiqué ici dans la propriété familiale du Clos au Grand Lemps, dans l’Isère, par le père de l’artiste, son beau-frère-le compositeur Antoine Terrase-, sa soeur Andrée, et une cousine Berthe Schlin.
A l’arrière-plan, cinq jeunes femmes vêtues de blanc dansent une ronde endiablée. Cette apparition lumineuse évoque un monde imaginaire qui semble détaché de la réalité des silhouettes en aplats des joueurs de croquet, par l’utilisation d’une perspective inhabituelle. Des buissons coupés par le cadre inférieur de la toile masquent le bas des silhouettes, conférant à l’espace une atmosphère irréelle. L’agencement de plusieurs points de vue dans une même composition paraît être un des aspects les plus originaux de la période nabie de Bonnard, qui seul pourrait lui valoir son surnom de « Nabi japonard ».
Le contraste entre l’effet de frise du premier plan et la scène mouvementée du fond n’est pas la seule audace du tableau. L’artiste découpe et juxtapose les figures linéaires et les éléments du paysage sans hiérarchie apparente, à la manière d’un patchwork. Cela donne l’impression de jeter un coup d’oeil dans un jardin privé à travers le feuillage et d’y discerner soudain chaque détail l’un après l’autre, donnant à la scène le charme de l’authenticité.
« Crépuscule » résume également tous les principes du japonismes de Bonnard. Nous y retrouvons tout ce qu’il a puisé dans les estampes japonaises auxquelles il s’intéressait: des figures féminines dans un paysage, un sujet de la vie quotidiennes pris sur le vif, ainsi q’une composition décorative et pleine de légèreté.
Bonnard, post-impressionniste, s’oriente vers une nouvelle esthétique dite « décorative » fusionnant paysage et sujet de la « vie moderne ». La toile de Bonnard préfigure également certaines innovations du XXème siècle, notamment les tableaux cubistes ou ceux de Matisse, elle annonce également l’abstraction pure de Jackson Pollock et de la peinture américaine des années 1950.
LE SAVIEZ-VOUS?
Même les critiques les plus avertis ont été déconcertés par l’originalité de cette oeuvre en 1892. Bonnard devait particulièrement la chérir également, car de la même façon que dans le « Portrait de Claude Terrasse » (conservé au musée d’Orsay, RF 1980 2), la partie de Croquet apparaît à l’arrière plan d’une petite scène d’intérieur « La femme à la rose », 1909.