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La Vénus à Paphos

Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867), Alexandre Desgoffes (1805-1882)

Vénus à Paphos, vers 1852, huile sur toile, 91,5 x 70,5 cm. RF 1981 39

Acquise avec la participation de la SAMO, 1981.

 

Pour célébrer cette année de quarantième anniversaire de la SAMO, nous vous proposons une rétrospective tous les mois de certaines œuvres acquises par les Amis depuis la création de la Société.

La Vénus de Paphos d’Ingres est l’œuvre parfaite pour commencer ce voyage car elle a été une des premières participations de la SAMO à l’enrichissement des collections du musée d’Orsay, et ce dès 1981, c’est-à-dire dès le début du projet de création du musée. De plus, l’œuvre est exposée dans la première salle du parcours de visite du musée (Salle 1) et elle a initié la création d’un fonds ingriste dans les collections du musée, complétée par le dépôt du Louvre de trois autres toiles en 1986, comme La Source (Salle 1).

 

Cette acquisition est importante pour le musée d’Orsay en raison de la qualité de certaines de ces parties, et surtout pour les enseignements qu’elle apporte concernant le processus, assez complexe, de création chez Ingres portraitiste.

Il est possible qu’Ingres ait reçu commande d’un portrait, qu’on peut attribuer à Mme Antonie Balaÿ (1833-1901) fille et épouse de riches parlementaires, grâce aux dessins préparatoires de ses élèves, Paul et Hippolythe Flandrin. Le portrait est ensuite laissé inachevé pour des raisons inconnues. Ingres décide alors de transformer son tableau en scène mythologique en changeant la pose du modèle, comme le montre l’évolution des croquis d’Ingres conservés à Montauban et à Baltimore.

Dans les carnets laissés par Ingres, il nomme le tableau « Ébauche pour une Vénus, portrait-tableau », ce qui prouve qu’il n’est pas un simple tableau mythologique. Cette Vénus ne ressemble pas à celle assez stéréotypée qu’Ingres dessinait. Ainsi, ce tableau est une œuvre hybride, un mélange de deux genres, le portrait et la scène mythologique, composée à partir de deux modèles différents, un pour le visage et un pour le corps.

 

Cette peinture tardive d’Ingres est doublement représentative de la tradition académique dont il fut l’un des plus éminents représentants, par son sujet et par ce qu’il révèle de la pratique d’atelier.

Le titre définitif du tableau n’est pas d’Ingres mais il avait ajouté deux éléments iconographiques traditionnels, Cupidon ou Eros et un temple, qui justifient le titre. Le temple grec représenté est associé à celui de Paphos à Chypre, un lieu de culte immémorial de Vénus qui selon la tradition s’y était réfugiée après que Vulcain, son époux, ait découvert et ridiculisé sa liaison avec Mars.

Cette œuvre a aussi été faite en collaboration. Au cœur de l’académisme, l’enseignement passait d’abord par l’imitation et par l’imprégnation stylistique auprès d’un maître. Ingres a peint la Vénus à l’aide notamment des croquis des Flandrin. C’est ensuite son élève Alexandre Desgoffe qui a peint le ciel et la végétation sur les indications du maître qui reste l’auteur du tableau.

 

Cependant, Ingres dépasse le cadre de son époque et, partant d’un néo-classicisme rigoureux, il ouvre la voie à des artistes comme Degas et Picasso. En effet, une certaine dualité le fait hésiter entre l’enregistrement fidèle des données de la perception et les exigences d’un ordre formel. La Vénus de Paphos s’évade des règles du classicisme par des audaces anatomiques qui annoncent la modernité. Cette dualité produit des effets grotesques relevés par les contemporains d’Ingres, comme Baudelaire ou encore Degas, son élève, qui écrira en découvrant le tableau : « Les femmes d’Ingres sont des animaux magnifiques. Celle-ci n’est pas une femme, mais un veau, un veau magnifique. », il fait ici référence à une caractéristique de l’esthétique d’Ingres, c’est-à-dire l’anatomie assez incohérente des personnages dont il recompose les formes sans se soucier de la vérité.